•  

    Draval attendait. La nuit, tombée depuis quelques heures déjà, paraît de ses lunes d'un bleu nacré l'ensemble de la vallée. On entendait le chant des siffleurs à travers l'herbe sauvage et la légère brise offrait à ce décor un agréable souffle. Au loin, si l'on plissait bien les yeux, on pouvait apercevoir les feux du camp ennemi. Les Messagers, comme ils se faisaient appeler, avaient à présent conquit un bon gros tiers du plateau d'Arambos.

     

    La sentinelle afficha une grimace de dégoût. Rien que l'idée de ces fanatiques en train de festoyer lui donnait envie de vomir. Heureusement, l'affrontement aurait lieu dès le lendemain. Draval avait hâte de nourrir de sang la lame de son cimeterre qui, à chaque seconde, réclamait justice, lui démangeant désagréablement le bras tant il fourmillait.

     

    Le jeune homme se remémora la stratégie mise en place par Geinëva Arti'K, la générale en chef de l'armée royale. Cinq millier de fantassins s’élancerait sur le champ de bataille, prêts à contrer la charge des cavaliers ennemis, tandis que les assassins d'élite postés de part et d'autre de l'ouragan de guerre prendraient à revers les généraux et les grands guerriers. Si cela ne suffisait pas, trois Waïly restés en retrait déchaîneraient à distance leurs attaques dévastatrices.

     

    Soudain, Draval sentit une main se poser sur son épaule. Par réflexe, il porta immédiatement la main à sa ceinture, prêt à dégainer son arme de prédilection, mais lorsqu'il vit le visage de sa partenaire, il se détendit aussitôt.

     

    Ina Kel'Drahan était une très jolie jeune femme à la stature fine et musclée. Comme à son habitude, et malgré l'inconfort que cela pouvait provoquer en combat, elle portait ses longs cheveux châtains détachés. Ses yeux d'ambre éclairaient son faciès rieur et ses lèvres noires s'étiraient en un remarquable sourire. Elle portait à sa ceinture une très courte dague, ainsi que six étoiles de jet à l'acier meurtrier. Lorsqu'elle vit la mine alerte de son ami, Ina ne put s'empêcher d'échapper son rire cristallin.

    - Draval, mon bon, tu devrais souffler un grand coup ! Se moqua-t-elle. Si tu restes en apnée toute la nuit, tu risques d'exploser !

    - Une sentinelle se doit de rester alerte au moindre son, répliqua le jeune homme d'un ton qui se voulait dur. La conversation même des rongeurs doit lui être familière.

    - Au diable les rongeurs ! Gloussa l'assassineuse. Je doute que les Messagers parviennent à franchir les barrières magiques de nos meisters pendant la nuit. Tu devrais te reposer, la bataille va être rude demain.

    - Je n'ai pas sommeil. Comment pourrais-je dormir alors que nos ennemis ne se terrent qu'à quinze kilomètres ?

     

    Ina esquissa un nouveau sourire énigmatique.

    - Qui a parlé de dormir ? Ce que je te propose est bien plus agréable.

     

    À ces mots, elle lui sauta au cou et emprisonna ses lèvres entre les siennes. Draval décida finalement de laisser de côté son professionnalisme légendaire pour lui rendre son baiser avec plus de passion et plus de fougue que jamais.

    - J'aime mieux ça, lui susurra-t-elle à l'oreille.

     

    Suivant l'appel de la nuit, ils s'enlacèrent de plus belle, brûlant tous deux d'un même désir ardent, tandis qu'au dessus d'eux, les lunes commencèrent à poindre, préparant le firmament à accueillir les toutes premières lueurs de l'aube.

    - Quand tout cela sera terminé, déclara Draval, quand les Messagers ne seront plus et que cette infernale guerre n'aura plus raison d'être, je serais tien, Ina, et tu seras mienne. Nous serons sans plus attendre unis par les liens du mariage.

     

    L'assassineuse reçut ces promesses avec bonheur. Elle avait tellement hâte de pouvoir partager sa vie avec celle de son aimé, de son ami d'enfance. Seulement, à cet instant, elle ne pouvait se douter que cette union n'aurait jamais lieu. Qu'elle serait brisée à jamais par les atrocités de la guerre...

     

     

     

     

     

    ~*~

     

     

     

    Le lendemain, ce fut sous un soleil de feu que Draval et ses hommes se préparaient au combat. Il avait à sa charge un escadron deux-cent cinquante soldats à la fidélité sans faille. De puissants escrimeurs, entraînés à croiser le fer depuis leur plus jeune âge.

     

    Aujourd'hui, les innocentes victimes des Messagers seraient vengées. Le roi lui-même s'y était engagé en envoyant de bon matin une trentaine de Factionnaires, les unités d'élite du Royaume de Bruncastel. Et Draval était bien placé pour le savoir, ces guerriers ne se reposeraient pas avant d'avoir purgé Azahd de cette menace grandissante.

     

    Sur le dernier coup de neuf heure,les barrières magiques mises en place par les meisters disparurent et la générale Arti'K ordonna à l'armée entière de se mettre en position. En effet, des kilomètres plus loin, le mouvement était maître, si l'on en croyait la fumée de poussière grandissante et le faible tremblement du sol. Draval dégaina son cimeterre et inspecta d'un bref coup d’œil le taquet de ses hommes.

     

    Ne formant plus qu'une masse guerrière prête à tout renverser sur son passage, la gigantesque armée se prépara à charger. À présent, seuls deux kilomètres les séparaient de leurs ennemis. Draval tourna les yeux vers le lointain à sa droite et devina la silhouette de l'assassineuse. Ina, encore plus que lui, devait trémousser d'impatience. Elle, plus que quiconque, avait d'excellentes raisons d'en vouloir aux Messagers : ces monstres lui avaient volé sa mère et ses deux jeunes frères.

     

    Puis ce fut l'heure. Un gong assourdissant retentit et les fantassins s'élancèrent droit vers le combat, d'une passion commune. Draval ne fit pas exception. Poussant un terrible cri de guerre, il fusa vers l'armée des Messagers, suivi de quelques mètres par ses hommes débordant de panache.

     

    Les deux armées se rencontrèrent dans un splendide vacarme alors que les lames s'entrechoquaient. Comme Arti'K l'avait prévu, les Messagers avait déployé leurs cavaliers en tête. Cela ne posa guère de problème à ses soldats qui, chaudement épaulés par les Factionnaires, les cueillirent et ne leur laissèrent aucun répit, pourfendant leurs chevaux puis leurs crânes avec une violence inouïe. Draval jubilait. Au cœur de la mêlée, il laissait filer son cimeterre, exécutant une danse meurtrière et provoquant autour de lui une véritable boucherie. Le jeune homme, semblait ne jamais s'arrêter. Il s'ouvrit rapidement à la haine pour se livrer à la plus pure et la plus primitive des sauvageries. Ses propres hommes durent carrément rester à distance pour éviter de se prendre un coup perdu. C'était le souci avec Draval : il était certes d'une efficacité redoutable sur le champ de bataille, il ne cessait son carnage avant d'avoir terrassé le dernier ennemi vivant.

     

    De son côté, Ina avait déjà exécuté quatre colosses à elle toute seule, toujours avec la même facilité, comme si la mort elle-même guidait son bras. Il ne restait devant elle qu'une demi-douzaine d'hommes avant d'atteindre le premier général Messager. Ses lèvres s'étirèrent en un effroyable rictus. Instantanément, ses mains se portèrent à sa ceinture et quatre étoiles se glissèrent entre ses doigts. Les guerriers n'auraient aucune chance.

     

    Avec la fluidité propre aux assassins d'Azahd, elle déplia ses bras, envoyant les projectiles fuser vers ses ennemis. Trois d'entre eux furent touchés en plein cœur, le quatrième s'écroula sous le poids de sa jambe blessée. Il en restait deux. Avec la même célérité que son aimé, elle s'élança, dague en avant. La joute qui l'opposa au premier ne dura guère longtemps. Au bout de quelques secondes de luttes, il montra les premiers signes de fatigue et elle en profita pour passer derrière lui et frapper. Le second lui posa plus de problèmes. Armé d'une hache à double-tranchant, il maniait l'objet avec dextérité et elle ne put l'approcher, au risque de se retrouver découpée en rondelles. De plus, il ne lui laissait pas de répit et elle ne put profiter d'une seule seconde pour saisir une étoile.

     

    Elle n'avait pas le choix, elle allait devoir recourir à la magie. Ina n'aimait pas trop s'abaisser à l'utilisation de vulgaires sorts, ce qu'elle opposait d'ailleurs souvent au noble art de l'acier, mais elle s'était néanmoins entraînée auprès des maîtres-meisters et devait malgré tout avouer que cela pouvait parfois la tirer de situations difficiles. Comme dans le cas présent.

     

    L'assassineuse se mit largement en retrait du guerrier, qui continuait à jouer dangereusement avec sa hache, puis elle rangea sa lame, ferma les yeux et s'ouvrit aux courants naturels qui l'entouraient. Son adversaire était robuste. Une simple flamme se suffirait pas à l'handicaper assez pour qu'elle puisse le vaincre. Elle allait devoir compter sur la magie brute.

    - Peristas wöreh quenn arda, psalmodia-t-elle en sentant les cellules de son corps vibrer à chaque mot. Venì perkka nǒs Triam !!!

     

    Une vague d'énergie de densité astronomique déferla sur son ennemi qui fut proprement réduit en cendres sans même comprendre ce qui lui arrivait. Ina se sentit vaciller. C'était le prix à payer d'une incantation aussi puissante. Mais elle ne pouvait se le permettre. Face à elle, le général s'approchait dangereusement, armé de deux épées lourdes. À sa vue, elle cracha au sol, ce qui eut pour effet de lui faire afficher un bref sourire moqueur.

    - Je dois admettre que je suis impressionné ! Déclara-t-il. Peu de mes hommes auraient pu exécuter un tel prodige. Qui es-tu, vaillante ?

    - Une orpheline dont vous êtes responsable de la misérable condition, répliqua-t-elle, les membres tremblant. Kel'Drahan, ça vous dit quelque chose ?

    - Si je me souvenais de tous les hérétiques qui se mettent en travers de notre route, ria le Messager, je pourrais en écrire un livre entier !

     

    Sans plus un mot, elle cracha une nouvelle fois pour exprimer son dégoût face à ce monstre. Des innocents. Les victimes des Messagers étaient tous innocents, et il se permettait de les qualifier d'hérétiques ! De quel droit ? Et hérétiques par rapport à quoi, d'ailleurs ? À Azahd, la religion était libre et l'on pouvait vouer son culte à n'importe quel dieu, tant que notre fidélité se tournait vers le roi, ce qui était loin d'être le cas des Messagers, puisque ces derniers mettaient en péril la paix durement acquise et freinait le progrès à Azahd.

     

    Ina réfléchit à toute allure. Cette fois, son adversaire ne succomberait pas à ses étoiles en acier, ni ne se laisserait piéger par sa puissante magie. Elle allait devoir opérer autrement. Peut-être...

     

    Elle n'eut le temps d'envisager quoi que ce soit, déjà, le général avait dégainé ses lames et s'apprêtait à les lui abattre sur le crâne. Elle esquiva de justesse l'assaut fatal et s'écarta de deux mètres, en quête d'un instant pour trouver une solution. Que nenni ! Il la suivit et réitéra son attaque, avec plus de violence encore. Sentant le battement de son cœur s'accélérer, Ina se jeta sur lui et entreprit de le bourrinner de coups, mais l'homme, d'une force inouïe, l'envoya s'écraser cinq mètres plus loin d'un féroce coup d'épée.

     

    Draval stoppa son carnage. Alors qu'il exécutait de nouveaux cavaliers envoyés en renforts par les Messagers, il avait ressentit un étrange pincement au cœur. Le jeune homme décida de suivre son intuition et porta son regard sur le sommet de la vallée. Là haut, son aimée luttait sans repos contre un ennemi qu'il ne parvenait pas à apercevoir. Elle est en danger, se dit-il. C'est la première fois que je la vois galérer autant.

     

    Malgré les ordres de la générale Arti'K, Draval s'assura que ses hommes tenaient leur position puis, satisfait, il s'éloigna à pas de géant de l'ouragan de guerre. La montée de la raide vallée fut pénible, mais le soldat s'était senti pousser des ailes dès que cette sensation de mauvais pressentiment s'était emparée de lui. Aussi, ce fut sans effort qu'il pourfendit le crâne d'un assaillant du tranchant de son cimeterre.

     

    Il arriva bientôt au sommet de la colline pour découvrir ce à quoi il s'attendait. Sa partenaire peinait à tenir le rythme face aux coups répétés et dévastateurs du général Messager. Le jeune homme s'approcha silencieusement du duel qui faisait rage, prêt à prendre ce puissant guerrier par surprise. C'était sans compter sur l'expérience du colosse, qui se retourna sur ses gonds pour repousser l'arme de Draval sans fléchir. Surpris, mais néanmoins d'attaque, ce dernier recula légèrement pour tenter un nouvel estoc, par le bas cette fois.

     

    Remise sur pieds, Ina frotta ses membres endoloris. En temps normal, elle éclaterait de colère en voyant qu'on lui avait «volé» son affrontement mais à cet instant, elle fut heureuse de retrouver son aimée à ses côtés, le temps de ce combat d'un tout autre niveau du moins.

     

    Elle se jeta dans la mêlée des deux hommes, de nouveau prête à en découdre. Le général dut commencer à reculer devant la force du couple et tout signe d'amusement disparut de son visage, laissant place à un faciès déformé par la haine. Visiblement, il avait compris qu'il n'avait plus l'avantage et commençait peut-être à craindre pour sa vie.

     

    Alors, dans un élan désespéré, il croisa ses fers et entreprit de trancher la tête de l'assassineuse. Ina fut plus rapide. D'un fulgurant bond sur le côté, elle évita l'attaque mortelle et laissa filer sa dague sur l'arrière des genoux du Messager, seul partie de son corps –excepté sa tête– qui n'était pas recouvert par son armure. Sentant ses tendons céder, le guerrier tomba face au sol en poussant un grognement inhumain.

     

    Prête à l'achever alors qu'il était à présent hors de combat, elle saisit son avant-dernière étoile et donna de l'élan à son bras. Dans un mouvement d'une vivacité extrême, son adversaire se retourna sur le dos, saisit une petite sarbacane qu'il portait autour du cou et souffla. Le dard partit et se figea dans la gorge d'Ina juste avant que l'étoile l'atteigne lui, à la gorge également. La première surprise, l'assassineuse se retourna vers un Draval horrifié.

     

    Elle s'écroula à son tour, le corps soudainement secoué de convulsions. Le poison commençait déjà à faire effet et elle sentit ses membres s'engourdir. Son aimé se précipita à son chevet, mais il était trop tard.

    - Ina, ma fleur, mon amour ! Sanglota-t-il.

    - C'est... c'est f-fini Draval. La... la vie me qui-quitte.

    - Non, je ne peux l'accepter ! Personne n'a le droit de t'arracher à moi, personne !!

     

    L'assassineuse eut un nouveau soubresaut. Elle allait prononcer ses dernières paroles.

    - J-je t'interdis de m-me su-suivre sur la v-voie de la mort, Draval ! V-vis pour moi.

    - Mais que pourrais-je faire sans toi à mes côtés ? Tu étais ma raison d'être

    - V-venge-moi. Extermine tous les Me-messagers ! Tous j-jusqu'au dernier !!

     

    Puis elle s'éteignit, laissant le pauvre homme seul au sommet de la vallée, tandis qu'au dessous de lui la bataille faisait rage, sans qu'aucun des deux camp ne prenne l'avantage. Draval déposa un dernier baiser sur les lèvres d'Ina et se redirigea vers l'ouragan de guerre, son précieux cimeterre prêt à faire des ravages.

    - Tu as ma parole, déclara-t-il au gré du vent. Je ne ne trouverais le repos tant que tous les Messagers n'eurent tous périt de ma main.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Les Croisades Grises d'Azahd

     

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