• Chapitre 1 - 2ème partie

    Ce n’était pas ma veine, ça ! Avais-je omis que l’ancien quartier abandonné était leur territoire de prédilection ? Non, j’avais simplement mis cette information de côté, espérant ne pas avoir à la ressortir. C’est ce qu’on appelle le risque du métier. Il était certes un peu tard à présent… Il fallait que je file en vitesse. Mais pas sans le livre, j’étais trop près du but ! Je me suis élancée à travers la pièce, j’en ai franchis d’autres en sautant agilement au-dessus des trous qui striaient les vieilles planches de parquet et c’est là que je suis tombée sur une pièce en meilleur état. En son centre, luisait un objet. Il était, en effet, bien simple de reconnaître le fameux livre, sachant que c’était bien le seul à dix lieues à la ronde et… Qu’il ne paraissait pas vraiment commun, ce livre, puisqu’il brillait d’un éclat bleuté…

    Peu m’importait, je n’avais pas le temps de me questionner d’avantage : il me semblait que la meute avait bel et bien décelé ma trace… Je l’ai saisi d’un geste vif et j’ai décampé aussitôt à vive allure : je n’avais pas intérêt à rester dans les parages si je tenais à garder mes membres accrochés à mon corps ! Je suis remontée sur le toit. Je doutais qu’ils puissent m’y atteindre. Je les ai aperçus s’engouffrer dans la maison par l’entrée. Naturellement…  Il n’y avait plus de porte. J’imaginais ce qu’ils auraient bien pu faire à ce pauvre livre sans défenses. Mes yeux se sont posés sur sa couverture. Il était en parfait état. Comment avait-il pu échapper aux morsures des souris, à la moisissure  et… à la poussière ?! L’étrange lueur devait être à l’origine du phénomène. Ou peut-être en était-ce une autre conséquence…

    Je suis d’un naturel curieux, ce qui me vaut parfois quelques ennuis dans mon métier. Mais j’étais bien décidée à découvrir ce qui se tramait avec ce bouquin intriguant. Alors je l’ai ouvert. Je vous l’ai déjà dit, je ne sais pas vraiment lire. Mais je connais tout de même mon alphabet. Pourtant, impossible de déchiffrer aucun de ces lettres. Les étranges caractères donnaient au livre un air plus merveilleux encore. Et de chacune de ces lettres, tracées à l’encre, émanait une faible lumière bleue…

    Les aboiements des chiens derrière moi m’ont immédiatement ramenée à la réalité. L’instinct de survie est toujours le plus fort. J’ai repris mes sauts de toits en toits en tenant fermement le livre contre moi. En redescendant la colline c’était plus simple, et j’ai eu vite faits de semer mes poursuivants bloqués à terre.

    Le soleil commençait déjà à baisser, et les gens à sortir. Il devait être aux alentours de dix-sept heures. J’ai progressé la tête basse parmi les maisons de terre ocrée, de bois et de briques rouges, mélange si caractéristique de la ville de Kensyr. Je sentais déjà les regards brûlants posés sur ma nuque. Je n’étais pas ici à ma place. Je n’étais nulle part à ma place. Mais je me débrouillais habituellement pour ne pas me faire remarquer. Avec mon énorme livre, ce n’était pas gagné ! J’ai vite réalisé que tous les regards rivés sur moi ne venaient pas des habitants, trop occupés à monter leurs étalages emplis de babioles. Non, j’étais suivie, j’ai avais la certitude. J’ai accéléré le pas et tourné à la première bifurcation. J’ai ainsi zigzagué dans un labyrinthe de ruelles de plus en plus étroites. Lorsque j’ai été bien certaine que plus personne ne me suivais, je suis habilement montée sur un toit pour me repérer. J’ai de suite adopté la bonne direction, vers le centre de la ville et la place du marché, sur laquelle j’avais rendez-vous avec mon commanditaire.

    J’étais profondément troublée.  Je ne comprenais pas qui avait bien pu suivre une jeune fille en haillon comme moi. La meilleure des couvertures. Les gens ne se doutent jamais de rien devant mon air innocent et doux.

    Quoi qu’il en soit, j’ai continué ma route prudemment, en jetant des coups d’œil nerveux derrière moi. Je suis finalement arrivée sans encombre au marché bourré de monde, comme à l’habitude. Avec mon corps menu – pour ne pas dire squelettique – il était facile de se faufiler discrètement dans la foule. J’ai atteint l’étal de tissus colorés ; l’endroit même où, quelques heures plutôt, on m’avait proposé un travail relativement intéressant. Même extrêmement intéressant.

    Le vieillard n’étant pas arrivé, je me suis installée parmi les tissus à l’arrière de la boutique, à l’abri des regards, et j’ai de nouveau ouvert le livre, qui ne luisait plus. C’est alors qu’un violent mal de tête s’est emparé de moi. Ma vision est devenue floue et des acouphènes on envahit mon esprit. J’ai vivement refermé le livre, la respiration haletante. Que s’était-il passé ? Au-dehors, les éclats de rires et de voix se mêlaient aux pleurent d’un enfant et aux huées des vendeurs. Personne n’avait remarqué quoique ce soit, et le brouhaha habituel régnait sur la place. Pourtant il me semblait loin, et moi, je me sentais isolée, à l’écart de toute cette agitation coutumière. Et tout cela m’attristait beaucoup, sans que je ne comprenne pourquoi.

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