• Une femme  blanche, d'environ cinquante ans s’assied à coté d'un noir. Visiblement perturbée,

    elle appelle l'hôtesse de l'air :

    - Quel est votre problème, Madame ? demande l'hôtesse.
    - Mais vous ne le voyez donc pas ! répond la dame, vous m'avez placée à côté d'un noir. Je ne supporte pas de rester à côté d'un de ces êtres répugnants. Donnez-moi un autre siège.
    - S'il vous plaît, calmez-vous, dit l’hôtesse, presque toutes les places de ce vol sont prises. Je vais voir s'il y a une place disponible.

    L'hôtesse s'éloigne et revient quelques minutes plus tard :
    - Madame, comme je le pensais, il n'y a plus aucune place libre dans la classe économique. J'ai parlé au commandant et il m'a confirmé qu'il n'y a plus de place dans la classe exécutive. Toutefois, il nous en reste une en première classe. Avant que la dame puisse faire le moindre commentaire, l'hôtesse de l'air continue :
    - Il est tout a fait inhabituel dans notre compagnie de permettre à une personne de classe économique de s'asseoir en première classe. Mais, vu les circonstances, le commandant trouve qu'il serait scandaleux d'obliger quelqu'un à s'asseoir à côté d'une personne aussi désagréable.

     

    Et s'adressant au noir, l'hôtesse lui dit : 
    - Donc, monsieur, si vous le souhaitez, prenez votre bagage à main car un siège en première classe vous attend.
    Et tous les passagers autour, qui, choqués, assistaient à la scène, se levèrent et applaudirent...

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  • J’ai attendu encore longuement au milieu de mes tapis sans toucher au livre. Le fils du vendeur de tapis m'a finalement découvert. Je ne connaissais pas son nom bien que je le voyais régulièrement. Un garçon sympathique, aux cheveux châtain mi long et aux yeux marrons, plutôt grand. Il deviendrait probablement vendeur de tapis à son tour, comme son père et ses ancêtres avant lui.

    Il aurait très bien pu m’expulser en vitesse, pourtant il s’est approché de moi et s’est assis à quelques mètres. Au bout d’un moment, son père l’a appelé. Toby. Il s’appelait Toby. Il s’est levé mais alors qu’il s’apprêtait à s’éclipser, il m’a demandé :

    -          C’est bien toi, Mira ?

    -          Oui, ais-je simplement répondu.

    Il a hoché la tête puis s’est retourné et a disparu derrière un tapis.

                Ne voyant toujours personne approcher tandis que le ciel s’embrasait déjà, j’ai décidé qu’il était désormais trop tard : plus personne ne viendrait. Le mystérieux barbu ne m’avait pas vraiment donné d’horaire. Il m’avait simplement demandé de revenir au même point une fois ma mission accomplie. A présent je le regrettai amèrement. Et s’il ne revenait plus ? Je me retrouvais avec un livre énorme, étrange et effrayant sur les bras, sans autre récompense. J’aurais dû me douter que celle-ci était trop belle…

                Je ne savais pas où aller. Je n’avais nul foyer à rejoindre pour la nuit. Alors je suis restée au milieu des tapis et j’ai finis par m’endormir, sans manger, le livre serré contre moi.

                J’ai rouvert les yeux sur une nuit noire et profonde que seule la lune illuminait. J’étais affamée. Mais ce n’était pas cela qui m’avait réveillée : le livre étincelait de nouveau et une douce chaleur en émanait.

                Un bruit a attiré mon attention. J’ai levé les yeux sur une ombre dissimulée derrière un tapis. La lumière de la lune à contre-jour dessinait les contours d’une silhouette masculine. Surprise, j’ai lancé sans réfléchir :

    -          Montre-toi avant que je ne plante mon couteau dans ta chaire !

    -          Ce ne sera pas nécessaire.

    C’était Toby.

    -          Pourquoi m’espionnais-tu ?

    -          Permets-moi de te faire remarquer que tu es ici chez moi.

    -          Je n’ai pas de chez moi, ais-je répondu du tac au tac.

    Il a adopté un silence gêné devant ma rhétorique.

    -          Tu as raison, je vais partir, ais-je finalement proposé pour dissiper son malaise.

    -          Non ! Je veux dire… Je suis content de pouvoir t’aider…

    Mauvaise pioche. J’ai démarré au quart de tour, sur la défensive :

    -          Je n’ai besoin de l’aide de personne !

    -          Ce n’est pas ce qu’on m’a dit !

    J’ai vraiment été déstabilisée. Je l’ai vu se mordre les lèvres. Mais c’était trop tard, il avait piqué ma curiosité. J’ai continué sur un ton méfiant :

    -          Qui t’as dit quoi ?

    -          Je ne sais pas qui c’était. Un homme d’un certain âge.

    -          Tu veux dire un vieux ?

    J’ai de suite fais le rapprochement avec mon commanditaire.

    -          Tu dois donc savoir où il est ! J’ai quelque chose à lui remettre.

    -          Il a parlé d’une organisation. C’est tout ce que je sais.

    -          Bon ! Cela devrait me suffire pour le retrouver, je vais me renseigner.

    -          Tiens-moi au courant, d’accord ? a émis Silas tandis que je m’apprêtais à décamper.

    Je lui ai lancé un regard noir : pourquoi se mêlait-il de mes affaires ? Puis son regard s’est posé sur le live.

    -          Très bien, mais pas un mot à qui que ce soit, c’est clair ?

    J’ai bondit à l’extérieur sans attendre de réponse. Il faisait encore bien sombre mais je n’avais pas une seconde à perdre. J’étais bien décidée à le retrouver avant qu’il ne quitte la ville. J’ai faufilé ma main sous un simple rideau dissimulant un étal remplit de fruits. Rien de plus simple que de voler une pomme à cette heure de la nuit. Les soldats chargés de surveiller la marchandise ronflaient bien fort, allongés sur les dalles de pierre. Même s’ils m’avaient surpris, il m’aurait suffi de leur rappeler ces instants humiliants pour leur faction afin qu’ils me laissent partir en me faisant promettre de ne jamais recommencer. Je partirais avant, bien sûr, faignant de ne pas avoir entendu.

    J’ai pris à gauche en direction des Maas, les quartiers qu’on ne fréquente pas la nuit sans avoir une excellente raison de le faire. Ça tombait bien : j’en avais une de la première importance !

    Là-bas, la nuit semblait encore plus noire et profonde. Les cris lugubres des chats sauvages, les bruits de pattes des rats y résonnaient plus que nulle part ailleurs, glaçant d’effroi les cœurs les plus sensibles. Je soupçonnais cette ambiance macabre d’être la couverture protectrice des habitants contre les forces de l’état, qu’ils fuyaient sans cesse. Je n’avais pour ma part rien à craindre de ce genre de fréquentations. J’y étais respectée, au moins ! Le résultat d’une carrière foisonnante de brigandage, cambriolages et autres malgré mon jeune âge et ma féminité. En plus du fait que je ne me laisse pas faire avec ces gens-là, bien sûr…

    C’est là que je l’ai trouvé, titubant contre un mur de pierres sombres, bourré à en vomir. Enrik. Je l’ai aidé à rejoindre l’abri de jardin qui lui servait de maison sans rien dire. Il s’est affalé sur un vieux tabouret et je me suis installée bien en face de lui sur une seconde antiquité poussiéreuse.

    -          Merci ma p’tite Mira, j’ai bien crus que j’allais passer ma nuit dehors, eh ! a-t-il soupiré.

    Je me suis contentée de le regarder dans les yeux. Son air pitoyable me donnait la nausée autant que l’odeur entêtante de l’alcool qui imprégnait son être.

    -          Mais je me doute que tu n’as pas donné un coup de main à un pauv’ mec pour rien. Que puis-je faire pour toi, ma mignonne ?

    -          Tu as déjà entendu parler d’une organisation secrète siégeant à Kensyr ?

    -          P’têt bien… J’me souviens plus trop, là…

    Il allait poser une main crasseuse sur ma cuisse lorsque l’un de mes couteaux s’est figé dans le mur à quelques millimètres de son crâne dégarni.

    -          Ok ça va, calme-toi, je crois que je vois de quelle organisation tu veux parler.

    -          Je t’écoute.

    -          On dit que les enfants qui disparaissent – si leur cadavre n’est pas retrouvé – atterrissent dans une sorte de secte ou je ne sais trop quoi, appelé l’Organisation.

    -          Et comment trouver des membres ?

    -          Les disparitions se font le plus souvent à l’est de la ville, du côté des ruines d’Entak. C’est probablement dans cette zone qu’est leur QG, à l’écart.

    -          Merci.

    Je me suis levée, j’ai saisi mon couteau d’un geste décidé et je me suis retournée vers la sortie. Enrik m’a retenue par le bras, manquant de perdre sa main au passage. Heureusement pour lui je me suis contentée de lui jeter un regard noir.

    -          Attends, on dit aussi que les enfants ne reviennent plus jamais vers leur famille…

    -          Ça tombe bien, je n’ai pas de famille.

    -          Pas de sang, peut-être, mais nous… On forme un peu ta famille en quelque sorte, non ?

    J’ai marqué un temps d’arrêt, l’ai fixé dans les yeux. Je voulais qu’il me lâche.

    -          Non. Avoir une famille ne te ressemble pas, Enrik. Tu n’as toujours fais attention qu’à toi-même et à ta bouteille de Whisky.

    Sa main a relâché son emprise. J’ai encore soutenu son regard un instant avant de déguerpir. Je n’étais pas très douée pour les adieux. Mais à ce moment-là, je ne pensais pas que, moi aussi, je ne reviendrais plus."

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  • Je suis si petite, si insignifiante. Vous ne faites jamais attention à moi. Pourtant je travaille beaucoup, je ne fait que ça bouger, travailler, m'épuiser toute la journée.

     

    Je dois ramener de quoi manger pour ma famille et aussi pour elle. Elle à qui je dois la vie, à qui je dois les soucis, à qui je dois tant. Pardon. A qui Nous devons moi et mes sœurs. Mes sœurs ? Elles sont nombreuses et comme moi elles travaillent. Nous travaillons toutes.

     

    Nous travaillons avec rapidité, agilité, efficacité malgré vous. Nous travaillons sans relâche malgré vous monstres qui nous écrasent, qui piétinent nos demeures, tuent pour que l'on se meurt.

     

    Pourquoi massacrer tant d'êtres et paraître aussi insignifiante ? Pourquoi vous plaignez vous toujours, de ces assourdissante voix, que votre vie est pourris alors qu'en bas nous sommes si petits ?

     

    Vous êtes violence, horreur, monstruosité ! Pourquoi ? Mais pourquoi prendre vie après vie ?

     

    Parce que vous vous êtes humain, et moi je suis Fourmi.

     

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  • Ce n’était pas ma veine, ça ! Avais-je omis que l’ancien quartier abandonné était leur territoire de prédilection ? Non, j’avais simplement mis cette information de côté, espérant ne pas avoir à la ressortir. C’est ce qu’on appelle le risque du métier. Il était certes un peu tard à présent… Il fallait que je file en vitesse. Mais pas sans le livre, j’étais trop près du but ! Je me suis élancée à travers la pièce, j’en ai franchis d’autres en sautant agilement au-dessus des trous qui striaient les vieilles planches de parquet et c’est là que je suis tombée sur une pièce en meilleur état. En son centre, luisait un objet. Il était, en effet, bien simple de reconnaître le fameux livre, sachant que c’était bien le seul à dix lieues à la ronde et… Qu’il ne paraissait pas vraiment commun, ce livre, puisqu’il brillait d’un éclat bleuté…

    Peu m’importait, je n’avais pas le temps de me questionner d’avantage : il me semblait que la meute avait bel et bien décelé ma trace… Je l’ai saisi d’un geste vif et j’ai décampé aussitôt à vive allure : je n’avais pas intérêt à rester dans les parages si je tenais à garder mes membres accrochés à mon corps ! Je suis remontée sur le toit. Je doutais qu’ils puissent m’y atteindre. Je les ai aperçus s’engouffrer dans la maison par l’entrée. Naturellement…  Il n’y avait plus de porte. J’imaginais ce qu’ils auraient bien pu faire à ce pauvre livre sans défenses. Mes yeux se sont posés sur sa couverture. Il était en parfait état. Comment avait-il pu échapper aux morsures des souris, à la moisissure  et… à la poussière ?! L’étrange lueur devait être à l’origine du phénomène. Ou peut-être en était-ce une autre conséquence…

    Je suis d’un naturel curieux, ce qui me vaut parfois quelques ennuis dans mon métier. Mais j’étais bien décidée à découvrir ce qui se tramait avec ce bouquin intriguant. Alors je l’ai ouvert. Je vous l’ai déjà dit, je ne sais pas vraiment lire. Mais je connais tout de même mon alphabet. Pourtant, impossible de déchiffrer aucun de ces lettres. Les étranges caractères donnaient au livre un air plus merveilleux encore. Et de chacune de ces lettres, tracées à l’encre, émanait une faible lumière bleue…

    Les aboiements des chiens derrière moi m’ont immédiatement ramenée à la réalité. L’instinct de survie est toujours le plus fort. J’ai repris mes sauts de toits en toits en tenant fermement le livre contre moi. En redescendant la colline c’était plus simple, et j’ai eu vite faits de semer mes poursuivants bloqués à terre.

    Le soleil commençait déjà à baisser, et les gens à sortir. Il devait être aux alentours de dix-sept heures. J’ai progressé la tête basse parmi les maisons de terre ocrée, de bois et de briques rouges, mélange si caractéristique de la ville de Kensyr. Je sentais déjà les regards brûlants posés sur ma nuque. Je n’étais pas ici à ma place. Je n’étais nulle part à ma place. Mais je me débrouillais habituellement pour ne pas me faire remarquer. Avec mon énorme livre, ce n’était pas gagné ! J’ai vite réalisé que tous les regards rivés sur moi ne venaient pas des habitants, trop occupés à monter leurs étalages emplis de babioles. Non, j’étais suivie, j’ai avais la certitude. J’ai accéléré le pas et tourné à la première bifurcation. J’ai ainsi zigzagué dans un labyrinthe de ruelles de plus en plus étroites. Lorsque j’ai été bien certaine que plus personne ne me suivais, je suis habilement montée sur un toit pour me repérer. J’ai de suite adopté la bonne direction, vers le centre de la ville et la place du marché, sur laquelle j’avais rendez-vous avec mon commanditaire.

    J’étais profondément troublée.  Je ne comprenais pas qui avait bien pu suivre une jeune fille en haillon comme moi. La meilleure des couvertures. Les gens ne se doutent jamais de rien devant mon air innocent et doux.

    Quoi qu’il en soit, j’ai continué ma route prudemment, en jetant des coups d’œil nerveux derrière moi. Je suis finalement arrivée sans encombre au marché bourré de monde, comme à l’habitude. Avec mon corps menu – pour ne pas dire squelettique – il était facile de se faufiler discrètement dans la foule. J’ai atteint l’étal de tissus colorés ; l’endroit même où, quelques heures plutôt, on m’avait proposé un travail relativement intéressant. Même extrêmement intéressant.

    Le vieillard n’étant pas arrivé, je me suis installée parmi les tissus à l’arrière de la boutique, à l’abri des regards, et j’ai de nouveau ouvert le livre, qui ne luisait plus. C’est alors qu’un violent mal de tête s’est emparé de moi. Ma vision est devenue floue et des acouphènes on envahit mon esprit. J’ai vivement refermé le livre, la respiration haletante. Que s’était-il passé ? Au-dehors, les éclats de rires et de voix se mêlaient aux pleurent d’un enfant et aux huées des vendeurs. Personne n’avait remarqué quoique ce soit, et le brouhaha habituel régnait sur la place. Pourtant il me semblait loin, et moi, je me sentais isolée, à l’écart de toute cette agitation coutumière. Et tout cela m’attristait beaucoup, sans que je ne comprenne pourquoi.

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  • Vu la (petite) effervescence de notre blog, je pense donner le premier sujet dans très peu de temps... Soyez près ! ;)

    Si vous avez envie d'y participer, laissez un commentaire ou envoyez-moi un message si vous avez un compte Eklablog !

    Enki ^^

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  • Chapitre 1 – Mira 

     

                « Mon nom est Mira. Mira tout court, pour ceux qui se poseraient la question. Et je vais vous raconter comment je me suis retrouvée ici, tout à fait malgré moi.

    Ce matin-là, comme la plupart du temps, le soleil tapait fort sur la ville de Kensyr. La lumière se reflétait sur les murs blancs  des maisons tandis que Je progressais dans les ruelles étroites du centre en longeant les murs pour trouver un peu d’ombre. Même le sable brûlant flamboyait sous mes pas dans des petits nuages d’étincelle qui retombaient lentement derrière moi. Pas un souffle de vent. Cela rendait mon avancée plus douloureuse encore mais j’y étais habituée et cela ne me gênait plus le moins du monde depuis longtemps. De toute façon le vent, dans ma contrée, est toujours chaud et fait tourbillonner le sable. Au moins les rues étaient vides, et j’en bénissais les dieux : mon travail n’en serait que plus simple.

    Récupérer un vieux bouquin. Moi qui ne sais à peine lire, vous vous rendez compte ? Voler des armes, des objets précieux ou de la nourriture, je veux bien ; truquer des convois, apeurer les riches commerçants, d’accord ; mais trouver un livre dans une baraque abandonnée ? C’est bien la première fois que l’on me payait pour ça ! Et c’était bien la première fois que je voyais quelqu’un d’aussi tordu pour me demander ça ! Je n’aurais peut-être pas dû accepter ! Mais en voyant la récompense, je ne pouvais pas refuser. Je me suis dit qu’il devait avoir une grande valeur, ce machin…

    Dans mon métier on se méfie de tout, on est toujours sur la défensive, tous nos sens en alerte. Mais on ne gagne pas grand-chose, donc quand on trouve un boulot avec beaucoup d’or à la clef, je peux vous dire qu’on n’hésite pas beaucoup. Je ne sais pas si c’est une bonne chose de courir ainsi après un travail douteux. Mais là n’est pas la question. Aucun d’entre nous – ou très peux – n’avons véritablement choisis de vivre ainsi. Moi j’arrive à gagner ma vie comme ça, et ça me plait plutôt pas mal vu que je ne connais que ça. Il faut dire aussi que je me suis forgée une petite réputation, mais que j’arrive toujours à rester discrète malgré tout. Quand quelqu’un me cherche, il me trouve, si j’en ai envie. Sinon il peut toujours chercher, ça fait un peu d’exercice !

    Enfin bref, on se fou un peu de ma condition et je ne vous demande pas votre avis. De toute façon je ne compte pas revenir dessus, j’ai été élevée ainsi et c’est la seule chose pour laquelle je suis douée. Voler. Un bien grand mot, d’après moi ! Mes « victimes » n’ont pas un besoin vital de ce que je leur substitue. Moi si. Et puis j’aide parfois les plus démunis, soulignons-le je vous prie, je ne veux pas passer pour une horrible gosse ! Je leur fais des réductions lorsqu’ils me demandent un service… Ne faites pas cette tête, vous ne pensez tout de même pas que je vais travailler gratuitement, la vie coûte chère par chez moi !

    Je me dirigeais vers le plus ancien quartier.

    Il n’y a pas âme qui vive là-bas, je vous assure. Qu’est-ce qu’un livre aussi précieux ferait en ces lieux ? Cela fait longtemps que des pilleurs ont retourné l’endroit de fond en comble ! D’accord, un livre ne devait pas leur sembler intéressant, mais celui-ci devait bien être différent pour valoir aussi cher !

    Mon client, un vieux avec une longue barbe grise qui lui donnait un air mystérieux – plutôt classe pour un homme de son âge –, m’avait indiqué l’endroit d’une manière assez floue mais m’avait assuré que je reconnaîtrais le livre au premier coup d’œil. "Dans la plus haute maison", m’avait-il confié. Sauf que toutes les maisons se ressemblaient. Des copies conforment, de la même taille. Je ne connaissais pas vraiment le coin – en même temps on m’y donne rarement du travail, habituellement – mais je n’ai jamais remarqué de différences. Il fallait commencer par la chercher elle, et le vieux avait l’air sur de lui… J’ai parcouru le quartier en sautant de toits en toits sur les maisons rapprochée, toujours plus loin. Les charpentes, fragilisées par le temps craquaient sous mon poids et les vielles tuiles dégringolaient derrière moi. Cela ne m’a pas arrêté, bien au contraire ; j’étais plus rapide et n’avais pas intérêt à rester au même endroit trop longtemps.

    Le quartier tout entier était bâtit sur le flan d’une colline. Je remontais donc ainsi vers le sommet. J’ai alors réalisé que la maison la plus haute n’était pas forcément plus grande que les autres, seulement bâtit au point culminant. Connaissant mon objectif exact, j’ai cessé les détours et pris la direction précise du sommet. Enfin, je suis arrivée à la fameuse maison, en tout point identique aux autres mais clairement au-dessus. Je suis entrée par une petite fenêtre juste sous le toit en brisant le verre opaque d’un coup de pied. Il faisait sombre à l’intérieur. La maison était toute poussiéreuse et les araignées avaient colonisé l’endroit. Tout ça pour dire qu’elle n’était pas très accueillante et que je ne comptais pas m’y éterniser ! J’ai scruté la pièce. Il y avait bien peu de meubles où ranger un livre et je doutais déjà qu’il soit dans cette maison. Je devais pourtant faire confiance aux informations de mon commanditaire et à mon instinct. J’ai inspiré profondément. Mauvaise, idée : j’ai bien cru m’étouffer avec la toute cette poussière ! Alors que je reprenais tant bien que mal une respiration normale, un curieux mélange entre aboiements, grognements et hurlements retenti au loin. J’ai de suite su de quoi il s’agissait : la meute de chiens sauvages ! Je les entendais déjà se rapprocher à vive allure. Il était possible qu’ils m’aient entendue grâce – ou plutôt à cause – de leur ouïe extrêmement fine…

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  • Le Pendu du Diable

    Londres était silencieuse cette nuit-là. Bruce s’avançait le long du trottoir. Nombreuses échoppes étaient ouvertes mais la rue était déserte. On entendait au loin les trains qui passaient à vitesse grand V devant la gare dont on parvenait à peine à distinguer la grande horloge lumineuse. Vingt-trois heures quarante-trois. Bruce était en retard.
    Il accéléra son allure et se dirigea vers un grand entrepôt sinistre. Lorsqu’il entra, il fut accueilli par un concert d’applaudissements ironiques de ses quatre amis. Brad, Edward, Elvis et Josh l’attendaient. Il leur vola une poignée de main et saisit sa guitare électrique. Dark Falcons’Hellreiser était au complet. Edward distribua des chewing-gums et prit sa basse électrique. Josh s’installa à la batterie, après s’être roulé un énorme pétard. Et ils commencèrent. L’intro dura vingt-huit secondes, avant que Brad se mette à chanter.
    You can see it in the eyes of a child.
    You can hear it into the voice of the old.
    The struggle for meaning, for reason, acceptance, completion.
    The eyes of hope and the voice of reason.

    The words of wisdom and the strength of a vision.
    The truth is written in all of our eyes.
    The strength and the weakness.
    The sheer act of choosing to live your own fucking life.

    There is strength in this struggle and it's more than words and writing.
    It's living and dying, it’s laughing and crying, it’s learning and teaching, and striving and reaching.

    To take back and rebuilt our lives,
    to take back and rebuilt our lives!

    And it's the voice of reason and the eyes with a vision that keep me moving on.
    To remember those that came before, the ones I've loved, hatred and adored.
    For all that I've seen and felt. Been given and been dealt.
    And for all that has yet to come.

    This is for our struggles, our lives, our troubles, our times.
    For protest - resistance - action - persistence.
    For life and love!

    And those with the courage to say that enough is enough.
    Yes this is for you my friend, my lover, my sister, my brother,
    My mother, My father, the one like no other.
    My past, my present, my hope for the future.
    My son, my daughter, grandmother, grandfather, and all that I’ve seen exit life.

    Let's take back and rebuilt our lives.
    So we can listen to reason
    and bask in this wisdom.
    And finally have the strength to look in our children's eyes.

    And know that we're not feeding them lies:
    That we took back and rebuilt our lives.
    Les musiciens poursuivirent, menant un léger decrescendo et le morceau se termina sur un solo de guitare électrique, très harmonieusement joué par Elvis. Ils se regardèrent, le sourire aux lèvres. Ces trois semaines de répétition avaient porté leurs fruits. A présent, chacun connaissait sa partie sur le bout des doigts. Ils finirent la nuit étendus sur de vieux sofas, tirant taffes sur taffes, sniffant généreusement et roulant sans ménagement le coûteux cannabis.
    Le lendemain, Bruce se leva à dix heures vingt-sept. Soucieux de ne pas réveiller les autres, il sortit de l’entrepôt pour ranger ses affaires. A cette heure-ci, la rue était noire de monde. Et pour cause, la confirmation par référendum du maintien de la Grande-Bretagne dans la CEE avait été reçue deux mois plus tôt et l’économie avait monté en flèche depuis lors. Il descendit à la gare pour prendre le train en direction de Liverpool. Sur place, il acheta un journal et un paquet de cigares, avant de se diriger vers le wagon des premières classes. Là, il sortit son journal et se lança dans la lecture d’un article sur la création de l’entreprise Microsoft.
    En face de lui, une femme d’une vingtaine d’années le regardait d’un air vicieux. Comprenant, Bruce sortit un billet de cinquante livres et le lui tendit. Elle sourit et l’accompagna dans un wagon deuxième classe en le tenant par la main. Elle l’invita à rentrer dans une petite cabine équipée d’un lit, dont elle avait ajouté un rideau à la fenêtre en lui glissant au passage les mots Fantaisies Ténébreuses à l’oreille. Ils passèrent les trois quarts du trajet dans cette petite chambre, à tenter toutes frasques possibles dans le noir. Puis, estimant avoir dépensé assez d’énergie, ils se ré-habillèrent et sortirent de la cabine en silence. Elle lui glissa sa carte dans la poche arrière gauche de son jean, lui donnant une petite claque au passage.
    Bruce récupéra son journal, marqua sa page et sortit du train. Sa grande sœur Ashley l’attendait. Ils quittèrent la gare en moto et elle le conduisit dans son appartement. Là, toutes ses œuvres étaient exposées. Elle peignait depuis ses quatorze ans et elle en était très fière. Son frère remarqua une nouvelle toile sur son chevalet.
    - Tu t’es mise aux portraits ? posa-t-il.
    - Oui, répondit-elle tout sourire. Les paysages ne m’inspirent plus.
    Le garçon s’approcha pour contempler le tableau dans ses plus amples détails. Il eut alors un frisson. L’homme représenté avait exactement les mêmes traits et le même regard que la fille du train, à l’exception prête qu’au lieu de longs cheveux châtains, il en avait de courts d’un rouge sang. Il fut perturbé de cette apparition.
    - Ça va ? lui demanda Ashley, inquiète de ce changement soudain d’atmosphère.
    - T’inquiète, répondit-il. Tout va bien.
    - De quoi as-tu envie ? Je te commande des pizzas ?
    - Pas de refus, coupa-t-il brièvement. Merci grande sœur !
    Pendant l’entretien de sa frangine au téléphone, il cherchait à savoir ce que cette dernière avait cherché à reproduire. Il retourna le tableau. Deux mots y étaient écrits. Perfecta Diaboli. Lorsqu’il passa à table, il lui sembla même avoir vu le tableau s’animer. Le Diable Parfait…Les Fantaisies Ténébreuses… Deux expressions marquantes qu’il avait retenues d’un livre nommé « 13th » entré mystérieusement en sa possession. En effet ce dernier lui avait été envoyé anonymement et il n’avait pu s’empêcher de le lire.
    Bruce sortit la carte de la fille du train de sa poche. D’une écriture rouge sang étaient gravés le patronyme Mary Complaint, suivit du numéro +44 5 661366. Drôle de coïncidence… Non, finit-il par marquer. Il réfléchissait trop. Ce n’était là qu’un curieux hasard, rien de plus.
    - J’ai rencontré un type super à l’université, commença Ashley. Il fait du modélisme. C’est lui qui m’a demandé ce tableau.
    - Il t’a donné la raison de ce thème ? demanda Bruce. Je le trouve assez intéressant.
    - Ce n’est pas pour lui, répondit-elle, mais pour une fille de sa section. Il en est follement amoureux.
    Elle lui tendit le plat.
    - Tu en reveux ?
    - Non merci, répondit-il, je vais devoir y aller.
    Sur ce, il l’embrassa, saisit son manteau et se dirigea vers Stanley-Parc. Sa copine Tracy l’attendait. Elle lui tendit un gros paquet très joliment ficelé.
    - Bon anniversaire ! lui souhaita-t-elle.
    - Merci beaucoup mon cœur, répondit-il extasié.
    Il ouvrit son cadeau. L’album complet des Sex Pistols, son groupe de rock préféré. Suite à quoi, ils s’embrassèrent longuement. La peau de Tracy était froide. Bruce aimait beaucoup son contact. Il s’en voulut presque d’avoir couché avec la fille du train. Le monde est ainsi se persuada-t-il. Ils passèrent le reste de l’après-midi à se promener dans le parc et à tomber dans de folles embrassées. Ils se quittèrent aux alentours de dix-huit heures.
    C’est le lendemain que le drame se produisit. Après être retourné à Londres, Bruce avait dormi chez son ami Edward, le bassiste de son groupe. Après quoi, ils avaient rejoint le sombre entrepôt. C’est là qu’ils l’avaient vu… Le corps sanguinolent de Josh, sauvagement pendu au plafond d’une corde d’acier semblable à celle d’un piano, le tout accompagné d’un sinistre et curieux message écrit d’un rouge sang sur le mur.
    Paie de ton arrogance et de ta déloyauté
    Ô jeune adolescent aux amours amputés
    Par ta faute ton ami a été sombre victime
    De la puissante faux de ton ennemi légitime
    Le diable parfait a une fois de plus frappé
    Afin de mettre fin aux fantaisies ténébreuses
    Des jeunes aspirants aux conquêtes hantées
    Qui ont su créature des ténèbres rendre heureuse
    Edward et Bruce se regardèrent, l’un complètement désorienté, l’autre soudain pris de remords. Ce dernier songea. La fille du train… Elle n’était certainement pas étrangère à cette curieuse affaire. Il devait n’en parler à personne. Il raccompagna son ami chez lui sans lâcher un mot puis se dirigea vers l’appartement de location qui lui servait de domicile. Il examina le livre qu’il avait reçu. Le titre s’effaçait. Effaré, il tourna les pages. Partout, il lui semblait voir un visage. Ce visage si beau et si terrifiant qu’il voyait à présent partout.
    Il sombrerait dans la folie. Tout devenait clair à présent. Il avait pêché et ne pourrait se racheter qu’auprès du sinistre Lucifer. Alors sans hésiter, il alla chercher un couteau dans la cuisine, retourna à l’entrepôt, se trancha une veine et écrit de son sang : Le pêcher est lavé, je m’en retourne vers le Seigneur des Ténèbres, qu’il établisse à jamais mon châtiment éternel. Après quoi, il se retourna vers Josh, défit la corde de piano pour se l’attacher autour du cou et se suspendre au plafond. Il vit juste avant de mourir le visage du mort s’animer d’un sourire atroce et de yeux luisants et lâcha ses dernières paroles. Satan a eu raison de moi…
    Son corps et sa guitare ne furent jamais retrouvés.

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  • La vie ne tient qu’à une corde 

     

    Je me réveille, le corps ankylosé par le froid. Normal, j’ai dormi en haut d’un arbre, coincée entre deux branches tordues. En sortant peu à peu de mon état léthargique, je prends conscience qu’il n’y a rien de normal là-dedans. Qu’est-ce que je fais là ? J’ai pour habitude de m’y réfugier lorsque je n’en peux plus du monde entier ici-bas, parfois après une dispute avec… Mes parents. C’est bon, je me souviens. J’aurais très bien pu m’endormir lentement, sentir mes membres s’engourdir sans réagir pour ne plus me réveiller, mais non, mon esprit tiens véritablement à ma souffrance. Je ne suis même pas certaine de l’avoir méritée.  Certes ma haine est profonde, mais elle n’est dirigée sur personne d’autre que moi-même. Peut-être est-ce elle qui me fait souffrir ainsi ? C’est injuste. Mes parents sont morts dans un accident. Je les déteste, ils ne sont même plus là pour me consoler.

    J’en ai assez de la pitié des gens qui crèvent dans leur bonheur hypocrite et qui se sentent obligés d’arborer un air compatissant dès que ma sœur jumelle ou moi sommes en vue. Je n’en peux plus de ces mots répétés sans cesse : « toutes mes condoléances », qui résonnent à mes oreilles comme la promesse que je ne pourrais jamais plus me sortir du mal que cela a provoqué en moi.

    Pourquoi personne n’écoute ma plainte sourde ? Je ne veux pas de vos sourires, de vos cadeaux, je ne veux plus être heureuse. On n’avait pas le droit de nous infliger ça.

    Est-ce que vous comprendriez mieux si je vous disais de me laisser seule dans ma douleur ? Non. Personne ne peut accepter ça.

    Par-dessus tout je ne veux plus entendre mon cœur cogner dans ma poitrine. Parfois l’envie me prend de le poignarder pour qu’il cesse de me rappeler à chaque instant que je suis vivante. Je ne peux plus rester recroquevillée dans l’espoir qu’il s’arrête enfin. Mon corps souffre toujours plus. Il dépérit lentement, ajoutant à mon affliction une insupportable douleur physique, un carcan retenant mon âme.

    Si mon corps n’est plus, que deviendra mon esprit ? Peu importe, tout sera mieux que mon état actuel. Je ne pense pas avoir le choix ; de toute façon je suis déjà morte dans l’accident.

    Je ne pensais pas être attachée avec tant de force à mes parents. Je fais probablement partie des gens qui songent après coup qu’ils n’ont pas assez dit « je t’aime » tant qu'il en était encore le temps.  C’est bête quand même, la vie. La mort est bien plus simple. Il sera aisé de finir ce que le destin a commencé. Mon allure de cadavre glacial s’entendra bien avec la faucheuse…

    Je veux une mort sensationnelle, une mort qui rende un dernier élan de beauté à ma vie.

    L’arbre surplombe la maison. D’une longue branche je peux atteindre le toit du garage et de ce toit, la fenêtre de ma chambre toujours ouverte. Je prends donc le temps de la rejoindre pour me préparer en bonne et due forme.

    Je revêts ma plus belle robe, d’un tissu immaculé, léger et étincelant, puis je me maquille. Cette robe est un cadeau de ma sœur. Un blanc, si pur… Je disais que je ne la mettrais jamais parce qu’elle n’était pas noire ou rouge. Elle répondait alors que cette robe était le reflet de l’âme que je tentais de cacher sous mes habits sombres. C’était poétique mais elle se trompait profondément. Mon âme est ténébreuse et glaciale. Comme la mort. Je ne suis pas faite pour vivre. Je crois que la mort de mes parents n’est qu’un prétexte.

    Je pourrais me jeter dans les flammes, cela rappellerait mon caractère. Mais certaines personnes trouveraient cela affreux. Et puis comment serait-on sûr que c’est moi s’il ne reste que des cendres ? Non.

    Peut-être du poison ? Je pourrais m’allonger sur mon lit bien fait, entourée de fleurs fraichement cueillies… A moins qu’on me découvre trop tard et qu’elles aient fané.

    Non plus, ce serait plutôt une mort pour une petite princesse blonde telle que ma sœur.

      Ou bien… Me pendre dans le vent, à l’arbre en haut de la falaise. C’est parfait. Dans la brume et les embruns venus de la mer, j’aurais l’allure de fantôme qui me correspond.

    Quoi, vous trouvez cela horrible ? Vous plaignez la personne qui découvrira mon corps dans le lointain ? Vous avez probablement raison. Mais cela ferait grandir cette personne. Les nouvelles expériences sont importantes. Qui sait, peut-être qu’elle n’aura plus peur de sa propre mort ? Après tout pour moi, c’était un peu pareil… Celle de mes parents m’a ouvert les yeux.

    Je ne laisserais aucun message. Personne ne comprendrait.

    Je n’ai besoin que d’une corde, d’un tabouret. Rien d’autre ne me sera utile hors du monde que je m’apprête à quitter.

    La mort est d’une simplicité monumentale, vraiment.

    Dans le silence glacial des dernières heures de la nuit, je me glisse dans l’entrée sur la pointe des pieds. Comme je le prévoyais, ma sœur n’a pas fermé la porte principale, attendant mon retour. J’attrape la clef de la grange avec soin pour ne pas l’alerter et ressort.

    Une fois à l’intérieur du sombre bâtiment, si lugubre dans la nuit, il m’est aisé de trouver une corde parfaite, lisse et neuve. Plus dur pour le tabouret : il n’y en a pas ici. Pas même de vieille chaise en paille ! Je vais devoir retourner à l’intérieur de la maison…

    Il me faut me rendre dans le salon pour en trouver. Il y a juste un léger problème : ma sœur est étendue sur le canapé. Que fait-elle ici à cette heure ? Même si je prends ce dont j’ai besoin dans la cuisine, il me faut passer par le salon. Le sol, un parquet usé, craque sous mes pas. Ma sœur n’est pas la belle au bois dormant, je crains de la réveiller.

    Pourtant, je progresse lentement dans la pièce et, pas à pas, je m’approche d’un petit tabouret centenaire qui devrait faire l’affaire. Voilà, il est à portée de mes mains. Je me penche en avant et… Bien sûr, ça craque. Il fallait que cela arrive : cela aurait été beaucoup trop simple autrement ! J’entends derrière moi ma sœur se retourner avant de respirer profondément de nouveau. Tout n’est pas perdu. J’attrape l’objet avec précaution. Je me retourne lentement et aperçois le doux visage de ma sœur. Il n’est pas aussi rassurant qu’à l’habitude, pâle et abordant une mine inquiète dans son sommeil. Depuis l’accident elle se réveille chaque matin plus fatiguée que le précédent. Son beau visage se creuse petit à petit de cernes. Ce pauvre visage auquel elle tient tant !

    Ma propre détresse se réveille immédiatement mais elle se perd aussitôt derrière les paupières de ma jumelle, dans le reflet exact de mes sentiments.

    Lorsque nous étions petites, nous disions que nous partagerions toujours nos pensées ; que notre esprit était lié malgré nos différences et que nous n’avions pas le choix. Cette idée était aussi forte que notre amour mutuel, ancrée dans notre être. Comment avons-nous pu l’oublier ? Nous pensions peut-être que c’était faux, que nos ressentis étaient bien différents, mais non. Je le sais maintenant : je vois la même chose dans nos deux esprits. La même peine, la même douleur, la même haine. En la gardant secrètement pour nous, nous l’avons multipliée par deux.

    Je croyais endurer toute la violence du monde seule tandis qu’elle était toujours à mes côtés, à me soutenir. En m’enfermant sur moi-même et en ne voyant que la laideur du monde, je l’ai isolée dans une prison perfide. Pourtant elle ne s’est jamais plainte du châtiment qui lui était infligé. Et voilà qu’à présent je voudrais me suicider ? Après tout ce qu’elle a fait pour moi ? Quel égoïsme ! Non, j’ai une dette envers elle. Je n’ai plus le droit de me défiler. Que faire à présent que je suis aux portes de la mort, pour me faire pardonner ? C’est déshonorant de se retrouver ainsi mais Je ne peux m’en prendre qu’à moi : je n'ai rien voulu voir, rien voulu faire, occupée à ma petite peau, ma petite personne. Je ne sais pas comment je vais m'en sortir, mais ce qui est certain c’est que je ne peux aller plus loin.

    Elle semble faible ainsi allongée, sans défense. Mais face à l’amour que je lui porte, ma pitié n’est rien. A mon tour de prendre soin d’elle. Je viens me blottir contre elle et me laisse aller à la chaleur de son corps. Je m’endors petit à petit pour un sommeil profond, je le sens, comme je n’en ai pas eu depuis bien avant l’accident.

    Cette affection profonde et muette sera ma façon de l’aimer en silence, de taire la honte brûlante d’avoir imaginé l’abandonner. Mais je sais qu’au fond, elle le saura parce que nos pensées sont et seront toujours liées. Elle le saura et comprendra ma douleur. Après tout, elle m’a sauvé la vie…

     

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  • Un regard et je sais que nous sommes choisis.

    Une douleur à la poitrine me saisit,

    Mais il est trop tard pour fuir, ce regard en est la preuve

    Et mes seules pensées se tournent vers l’Épreuve.

    Violente, sanglante, mortelle.

    Au centre de l’attention, mon ami devant moi,

    N’est plus que mon adversaire et rien que cela.

    Je dois frapper cet être cher que je connais

    Si je veux vivre, même si ça me déplaît.

    Attaquer, tuer,  devenir éternel.

    La récompense ultime d’un acte effroyable,

    Un nom, une place à jamais inoubliable.

    Mais à quel inévitable et sinistre prix ?

    Je ne peux me résoudre à abattre un ami.

    Primitif, significatif, cruel.

    Plongé dans mes pensées, je ne l’avais pas vu,

    Vers moi s’approcher comme si il avait bu,

    Titubant, il a lancé son poing violemment,

    J’ai alors chuté au sol douloureusement

    Déstabilisé, troublé : le duel !

    Sans aucune pitié, il m’a roué de coups

    Autour de moi, tout est devenu flou,

    Montrant à cet inconnu perfide, mon dos

    Pour ne pas afficher mes déchirants sanglots

    Une plainte, un souffle ; puis le ciel.

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