• Je suis si petite, si insignifiante. Vous ne faites jamais attention à moi. Pourtant je travaille beaucoup, je ne fait que ça bouger, travailler, m'épuiser toute la journée.

     

    Je dois ramener de quoi manger pour ma famille et aussi pour elle. Elle à qui je dois la vie, à qui je dois les soucis, à qui je dois tant. Pardon. A qui Nous devons moi et mes sœurs. Mes sœurs ? Elles sont nombreuses et comme moi elles travaillent. Nous travaillons toutes.

     

    Nous travaillons avec rapidité, agilité, efficacité malgré vous. Nous travaillons sans relâche malgré vous monstres qui nous écrasent, qui piétinent nos demeures, tuent pour que l'on se meurt.

     

    Pourquoi massacrer tant d'êtres et paraître aussi insignifiante ? Pourquoi vous plaignez vous toujours, de ces assourdissante voix, que votre vie est pourris alors qu'en bas nous sommes si petits ?

     

    Vous êtes violence, horreur, monstruosité ! Pourquoi ? Mais pourquoi prendre vie après vie ?

     

    Parce que vous vous êtes humain, et moi je suis Fourmi.

     

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  • La vie ne tient qu’à une corde 

     

    Je me réveille, le corps ankylosé par le froid. Normal, j’ai dormi en haut d’un arbre, coincée entre deux branches tordues. En sortant peu à peu de mon état léthargique, je prends conscience qu’il n’y a rien de normal là-dedans. Qu’est-ce que je fais là ? J’ai pour habitude de m’y réfugier lorsque je n’en peux plus du monde entier ici-bas, parfois après une dispute avec… Mes parents. C’est bon, je me souviens. J’aurais très bien pu m’endormir lentement, sentir mes membres s’engourdir sans réagir pour ne plus me réveiller, mais non, mon esprit tiens véritablement à ma souffrance. Je ne suis même pas certaine de l’avoir méritée.  Certes ma haine est profonde, mais elle n’est dirigée sur personne d’autre que moi-même. Peut-être est-ce elle qui me fait souffrir ainsi ? C’est injuste. Mes parents sont morts dans un accident. Je les déteste, ils ne sont même plus là pour me consoler.

    J’en ai assez de la pitié des gens qui crèvent dans leur bonheur hypocrite et qui se sentent obligés d’arborer un air compatissant dès que ma sœur jumelle ou moi sommes en vue. Je n’en peux plus de ces mots répétés sans cesse : « toutes mes condoléances », qui résonnent à mes oreilles comme la promesse que je ne pourrais jamais plus me sortir du mal que cela a provoqué en moi.

    Pourquoi personne n’écoute ma plainte sourde ? Je ne veux pas de vos sourires, de vos cadeaux, je ne veux plus être heureuse. On n’avait pas le droit de nous infliger ça.

    Est-ce que vous comprendriez mieux si je vous disais de me laisser seule dans ma douleur ? Non. Personne ne peut accepter ça.

    Par-dessus tout je ne veux plus entendre mon cœur cogner dans ma poitrine. Parfois l’envie me prend de le poignarder pour qu’il cesse de me rappeler à chaque instant que je suis vivante. Je ne peux plus rester recroquevillée dans l’espoir qu’il s’arrête enfin. Mon corps souffre toujours plus. Il dépérit lentement, ajoutant à mon affliction une insupportable douleur physique, un carcan retenant mon âme.

    Si mon corps n’est plus, que deviendra mon esprit ? Peu importe, tout sera mieux que mon état actuel. Je ne pense pas avoir le choix ; de toute façon je suis déjà morte dans l’accident.

    Je ne pensais pas être attachée avec tant de force à mes parents. Je fais probablement partie des gens qui songent après coup qu’ils n’ont pas assez dit « je t’aime » tant qu'il en était encore le temps.  C’est bête quand même, la vie. La mort est bien plus simple. Il sera aisé de finir ce que le destin a commencé. Mon allure de cadavre glacial s’entendra bien avec la faucheuse…

    Je veux une mort sensationnelle, une mort qui rende un dernier élan de beauté à ma vie.

    L’arbre surplombe la maison. D’une longue branche je peux atteindre le toit du garage et de ce toit, la fenêtre de ma chambre toujours ouverte. Je prends donc le temps de la rejoindre pour me préparer en bonne et due forme.

    Je revêts ma plus belle robe, d’un tissu immaculé, léger et étincelant, puis je me maquille. Cette robe est un cadeau de ma sœur. Un blanc, si pur… Je disais que je ne la mettrais jamais parce qu’elle n’était pas noire ou rouge. Elle répondait alors que cette robe était le reflet de l’âme que je tentais de cacher sous mes habits sombres. C’était poétique mais elle se trompait profondément. Mon âme est ténébreuse et glaciale. Comme la mort. Je ne suis pas faite pour vivre. Je crois que la mort de mes parents n’est qu’un prétexte.

    Je pourrais me jeter dans les flammes, cela rappellerait mon caractère. Mais certaines personnes trouveraient cela affreux. Et puis comment serait-on sûr que c’est moi s’il ne reste que des cendres ? Non.

    Peut-être du poison ? Je pourrais m’allonger sur mon lit bien fait, entourée de fleurs fraichement cueillies… A moins qu’on me découvre trop tard et qu’elles aient fané.

    Non plus, ce serait plutôt une mort pour une petite princesse blonde telle que ma sœur.

      Ou bien… Me pendre dans le vent, à l’arbre en haut de la falaise. C’est parfait. Dans la brume et les embruns venus de la mer, j’aurais l’allure de fantôme qui me correspond.

    Quoi, vous trouvez cela horrible ? Vous plaignez la personne qui découvrira mon corps dans le lointain ? Vous avez probablement raison. Mais cela ferait grandir cette personne. Les nouvelles expériences sont importantes. Qui sait, peut-être qu’elle n’aura plus peur de sa propre mort ? Après tout pour moi, c’était un peu pareil… Celle de mes parents m’a ouvert les yeux.

    Je ne laisserais aucun message. Personne ne comprendrait.

    Je n’ai besoin que d’une corde, d’un tabouret. Rien d’autre ne me sera utile hors du monde que je m’apprête à quitter.

    La mort est d’une simplicité monumentale, vraiment.

    Dans le silence glacial des dernières heures de la nuit, je me glisse dans l’entrée sur la pointe des pieds. Comme je le prévoyais, ma sœur n’a pas fermé la porte principale, attendant mon retour. J’attrape la clef de la grange avec soin pour ne pas l’alerter et ressort.

    Une fois à l’intérieur du sombre bâtiment, si lugubre dans la nuit, il m’est aisé de trouver une corde parfaite, lisse et neuve. Plus dur pour le tabouret : il n’y en a pas ici. Pas même de vieille chaise en paille ! Je vais devoir retourner à l’intérieur de la maison…

    Il me faut me rendre dans le salon pour en trouver. Il y a juste un léger problème : ma sœur est étendue sur le canapé. Que fait-elle ici à cette heure ? Même si je prends ce dont j’ai besoin dans la cuisine, il me faut passer par le salon. Le sol, un parquet usé, craque sous mes pas. Ma sœur n’est pas la belle au bois dormant, je crains de la réveiller.

    Pourtant, je progresse lentement dans la pièce et, pas à pas, je m’approche d’un petit tabouret centenaire qui devrait faire l’affaire. Voilà, il est à portée de mes mains. Je me penche en avant et… Bien sûr, ça craque. Il fallait que cela arrive : cela aurait été beaucoup trop simple autrement ! J’entends derrière moi ma sœur se retourner avant de respirer profondément de nouveau. Tout n’est pas perdu. J’attrape l’objet avec précaution. Je me retourne lentement et aperçois le doux visage de ma sœur. Il n’est pas aussi rassurant qu’à l’habitude, pâle et abordant une mine inquiète dans son sommeil. Depuis l’accident elle se réveille chaque matin plus fatiguée que le précédent. Son beau visage se creuse petit à petit de cernes. Ce pauvre visage auquel elle tient tant !

    Ma propre détresse se réveille immédiatement mais elle se perd aussitôt derrière les paupières de ma jumelle, dans le reflet exact de mes sentiments.

    Lorsque nous étions petites, nous disions que nous partagerions toujours nos pensées ; que notre esprit était lié malgré nos différences et que nous n’avions pas le choix. Cette idée était aussi forte que notre amour mutuel, ancrée dans notre être. Comment avons-nous pu l’oublier ? Nous pensions peut-être que c’était faux, que nos ressentis étaient bien différents, mais non. Je le sais maintenant : je vois la même chose dans nos deux esprits. La même peine, la même douleur, la même haine. En la gardant secrètement pour nous, nous l’avons multipliée par deux.

    Je croyais endurer toute la violence du monde seule tandis qu’elle était toujours à mes côtés, à me soutenir. En m’enfermant sur moi-même et en ne voyant que la laideur du monde, je l’ai isolée dans une prison perfide. Pourtant elle ne s’est jamais plainte du châtiment qui lui était infligé. Et voilà qu’à présent je voudrais me suicider ? Après tout ce qu’elle a fait pour moi ? Quel égoïsme ! Non, j’ai une dette envers elle. Je n’ai plus le droit de me défiler. Que faire à présent que je suis aux portes de la mort, pour me faire pardonner ? C’est déshonorant de se retrouver ainsi mais Je ne peux m’en prendre qu’à moi : je n'ai rien voulu voir, rien voulu faire, occupée à ma petite peau, ma petite personne. Je ne sais pas comment je vais m'en sortir, mais ce qui est certain c’est que je ne peux aller plus loin.

    Elle semble faible ainsi allongée, sans défense. Mais face à l’amour que je lui porte, ma pitié n’est rien. A mon tour de prendre soin d’elle. Je viens me blottir contre elle et me laisse aller à la chaleur de son corps. Je m’endors petit à petit pour un sommeil profond, je le sens, comme je n’en ai pas eu depuis bien avant l’accident.

    Cette affection profonde et muette sera ma façon de l’aimer en silence, de taire la honte brûlante d’avoir imaginé l’abandonner. Mais je sais qu’au fond, elle le saura parce que nos pensées sont et seront toujours liées. Elle le saura et comprendra ma douleur. Après tout, elle m’a sauvé la vie…

     

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